Recipe for happiness || Elysra O. Serty

Jour 7

J'ai les yeux à demi-clos sous le poids de la fatigue. Pour tout dire, je n'ai pas vraiment dormi cette nuit. Deux jours que je me dis que je devrais faire le premier pas, et j'en suis incapable. Incapable d'envoyer un simple message à cet homme qui me provoque tant de choses à sa simple pensée. Je me torture l'esprit à savoir quoi lui dire, pour au final reporter au lendemain. Et ce fameux repas avec Ethan demain me prend tout autant la tête. Résultat, je passe mes nuits à trouver une solution. Solution à un problème que je m'invente seul, pour changer. Mais je crois que je suis doué pour m'en créer sans l'aide de personne, Nathan m'en fait souvent la remarque. Je soupire, exaspéré par mon propre comportement.

Je soulève la fourche du bout des bras, et balance le tas de foin par dessus la barrière. Un amas de mouton se crée instantanément, si bien que je suis obliger de demander à Tango de les en tenir éloigner. Le Border Collie s'exécute, et le troupeau s'entasse dans un coin de l'étable, gémissant de peur face au chien de berger. J'en profite pour faire de nouveau plusieurs tas, et une fois fini je dépose la fourche avec le reste du matériel. Les bêtes profitent de notre éloignement pour se précipiter sur leur nourriture du jour. Car aujourd'hui, il pleut. Je ne peux donc pas sortir le troupeau, et ils ne pourront pas brouter à leur guise. Ils resteront dans l'étable, au moins pendant l'averse. Espérons que le soleil revienne avant la nuit. Je fais rapidement un contrôle de mes bêtes, et tous semblent en bonne santé. Finalement, je sors du grand bâtiment, suivit de Tango. Je me retrouve rapidement à courir sous la pluie en direction de ma maison. Une fois arrivé sous le perron, je cherche le chien bicolore des yeux, et remarque qu'il ne m'a pas suivit. Je l’appelle, car je n'aime pas trop le laisser dehors par ce temps. Je grelote et croise les bras pour me réchauffer, quand j'entend un aboiement en contre-bas. Je maugrée, et prend mon courage à deux mains pour retourner sous la pluie. Je trottine vers la provenance du bruit, et trouve Tango le poil dégoulinant, aboyant sans retenue près d'un fossé. Je lui crie dessus, franchement énervé d'avoir à venir le chercher.

▬  Bordel Tango, mais tu vas cesser d'aboyer comme un abruti ?! Il pleut je te signale, et...

Je m'approche de lui et m'apprête à l'attraper fermement par le collier, voyant qu'il ne réagit pas à mes réprimandes. Il reste planté au dessus du petit ravin, comme un chien de chasse le ferrait s'il avait trouvé sa proie. Et alors que je m'apprêtais à le tirer pour le ramener à la réalité, je remarque une forme blanche au fond du fossé. Je fronce les sourcils, intrigué. Ma colère pour Tango s'envole instantanément, et je descend prudemment dans le ravin pour ne pas glisser. Quand je m'approche de la silhouette, je remarque qu'elle bouge, et un petit museau se tourne vers moi. Les yeux effrayés du félin me toisent, et il semble interdit face à moi. Je me penche vers le petit chat, approchant très doucement ma main.

▬  Mais qu'est-ce que tu fais là toi ?

Je crois que l'animal est trop chamboulé pour oser me griffer, ou même fuir. Il a le poil trempé et ébouriffé, et les pattes boueuses. Il n'est pas assez maigre pour être un chat errant, alors je me demande comment il a bien put atterrir là, au milieu de nul part. Parce que ma petite ferme est tout de même en bordure de village, dû aux nombreux pâturages que je possède. Il faut marcher bien quinze minutes pour trouver la première habitation. Et par ce temps, le petit félin devait sacrément être perdu.

Il me laisse le prendre dans mes bras sans broncher, mais il n'a pas l'air à l'aise. Je passe ma veste par dessus lui pour le protéger de la pluie, et remonte du ravin. Tango agite la queue, mais il semble avoir comprit qu'il ne faut pas faire de gestes brusques. Nous marchons doucement vers ma maison, pour ne pas agiter encore plus notre petit protégé. Je me retrouve vite à l'abris, et Tango file s'abriter dans sa niche. Niche qu'il n'utilise que par temps de pluie, car il salirait toute la maison dans son état. J'enlève les bottes sur le tapis, et m'en vais prendre un torchon pour essuyer le précieux fardeau que je tiens toujours dans les bras. Une fois approximativement sec, je dépose le félin sur le sol, mais il a toujours l'air perturbé. Je m'éloigne pour me rendre dans la cuisine. Je sors un bol des placards, et y verse un sachet de croquettes. Quand je reviens, je vois qu'il n'a pas bougé, et que ses yeux sont exorbités. Je pose le récipient devant moi, et l'incite à venir.

▬  Tiens mon mignon, reprend des forces.

Je m'éloigne un peu, pour le laisser manger tranquille. Il ne met pas longtemps à venir se servir, et j'en profite pour le détailler un peu. Il semble avoir eu plus de peur que de mal, je ne vois aucune blessure apparente. Je le laisse alors et m'éloigne dans ma chambre pour me changer, et enfiler une tenue plus décontractée. Quand je reviens au salon, je trouve le bol vide, et le chat est allongé sur le canapé, endormi. Il a rapidement prit ses aises, et donc a repris du poil de la bête. Je décide de le garder le temps de retrouver son propriétaire. Tant pis si Tango sera jaloux, cela ne durera qu'un temps. Laissant le félin se reposer, je m'installe à mon ordinateur, et envoi un mail groupé à plusieurs de mes connaissances. Je leur informe avoir trouvé un chat, et suivant sa description, qu'ils me contactent s'ils ont un indice sur le propriétaire. Une fois fait, je m'éloigne vers la cuisine et me prépare un café. Cette journée semble plus sympathique que prévue.

Je sors une tasse et y verse le café. Je retourne dans le salon, m'asseyant près du petit chat endormis. Je le caresse doucement tandis que je bois, et il frémit au toucher de ma main. Il semble plutôt jeune, et je me demande encore comment il a pu atterrir ici. Je le détaille encore un peu, avant de me lever et retourner à la cuisine. J'ouvre l'eau dans l'évier, et commence à faire la vaisselle. Mes mains sont plongées dans l'eau savonneuse, quand j'entend gratter à la porte. Je lève les yeux au ciel, probablement Tango qui en a assez de ce temps. Je m'essuie prestement les mains, et me dirige vers la porte de derrière. Je l'ouvre et siffle, et le chien arrive immédiatement. Avant même qu'il ne mette une patte à l'intérieur, j'entreprend de le sécher entièrement. J'attrape une petite bassine remplie d'eau, et lave sans grande conviction les pattes boueuses du Collie. Une fois propre, je le laisse aller à sa guise dans la maison. Je range le tout, et retourne dans la pièce principale. Tango s'est allongé sur le plancher, comme s'il n'osait pas reprendre sa place du canapé. Je souris à cette attention envers notre nouvel invité. Alors que j'allais pour me prendre un livre - pour m'occuper l'esprit et ne pas penser sans cesse à Killian - l'on frappe à la porte. Je fronce les sourcils, je n'attend personne, et encore moins avec ce temps. Peut être Nathan, mais je ne vois pas pour quelle raison. Je me dirige vers l'entrée, et je vois le jeune chat courir follement vers la porte. Il se met à miauler sans raison apparente, et je le pousse délicatement du pied pour me permettre d'ouvrir. Je tombe sur une jeune femme, qui m'est totalement inconnue.

▬  Bonjour, je peux vous aider ?

Je l'observe un peu, elle est dans un piteux état. La pluie n'a probablement rien arrangé, mais son regard semble triste, vide. Ses vêtements ne ressemblent plus à grand chose, je me demande même si elle est une sans-faction. Pourvu qu'elle ne soit pas malade. Mais je lui souris gentiment, si elle a besoin de quelque chose, je vais voir ce que je peux faire. Je ne peux pas la laisser comme ça.

▬  Vous voulez vous mettre au chaud, peut être ?

Cette pauvre jeune femme a l'air complètement perdue. Si c'est une sans-faction, elle doit chercher un abri pour la pluie. Pas que l'aider me gêne, mais je n'ai pas une confiance aveugle envers les sans-factions. Ils n'ont pas de règles, et certains même pas de morale. Cependant, j'en ai accueilli un la veille même, et tout c'était bien passé. Alors soit, il n'avait pas la même allure grotesque que cette demoiselle, il était au moins propre sur lui. Mais si je commence à me méfier de la sorte, la pauvre va passer une mauvaise journée. Même si je ne suis pas un altruiste, je ne peux pas la laisser dans cet état. Je soupire doucement, voyant qu'elle ne me répond pas. Je ne sais pas si je dois la prendre pour une attardée, ou simplement déboussolée. Je m'apprête à l'inviter, voyant qu'elle ne réagit pas. Elle va affreusement salir la maison, mais j'ai l'âme charitable aujourd'hui. J'entrouvre la bouche pour l'inciter à entrer, mais elle me coupe.

▬ Chut !

Je referme la bouche aussitôt, le regard surpris. Elle se précipite vers l'intérieur, me bousculant au passage. Mon T-shirt se retrouve trempé, et je maugrée au fond de moi-même. Fraternel oui, mais pas bonne poire. J'allais pour la reprendre, lui dire que même si j'allais la faire entrer, ce n'était pas très poli de forcer ainsi le passage. Mais je perd rapidement ma colère montante quand je la vois s'approcher de mon nouveau petit protégé. Celui-ci miaule envers la probable sans-faction, sans aucune peur ou agressivité. Je hausse un sourcil en les regardant, puis referme la porte. Elle se pencha - se jeta presque - sur le félin pour le prendre dans ses bras, et le matou lécha joyeusement son visage. Malgré tout, cette scène me fit sourire. C'était plutôt attendrissant. Et la jeune femme porta enfin son regard sur moi. Il semblait plus doux, plus vivant.

▬ C'est Chat ! Vous l'avez trouvé où ?

J'eus un mouvement d'incompréhension. Chat ? Soit elle ne sait pas parler, soit... ce chat se nomme.. Chat. Si c'est le cas, je ne ferais aucune remarque, mais il fallait avouer que dans la gamme des noms ridicules, celui-ci était plutôt bien placé. Personne n’appelle son chat Chat. Je veux dire, tout le monde sait ce qu'est un chat. A moins que ce ne soit voulu, pour simplement bien rire en entendant ce nom. Allez savoir. Mais au moins elle a l'air de le connaître, et si elle est sa propriétaire, alors je suis soulagée. Il n'a pas l'air maltraité, même si la vie de sans-faction ne doit pas être des plus douillettes.

▬  Vous voulez dire que c'est votre chat ? Dans le fossé en contre-bas, trempé jusqu'aux os et complètement terrifié.

Je me demande toujours comment il a fait pour arriver ici. Les sans-factions ne vivent pas vraiment dans le coin, alors il a dû faire un sacré bout de chemin pour se retrouver près de chez moi. J'en apprendrais plus en interrogeant sa maîtresse, probablement.

Chat. Chat était dans tes bras. Tu le serrais. Tu le sentais. Tu l’entendais. C’était bien Chat. C’était bien lui. C’était ton petit amour, ta petite boule de poils, tout ce que tu aimais, tout ce qui était ta vie, c’était lui et personne d’autre. Il était là. Tu l’avais retrouvé. Il allait bien. Tu te sentais mieux. Ton regard retrouvait peu à peu un éclat vivant, quoi que légèrement mort, parce que tu n’étais pas vivante intérieurement. Tu faisais mine de l’être, mais tu ne l’étais pas. Mais cela n’importait pas présentement, non, parce que tout ce qui importait était le petit chaton qui était dans tes bras et ne cessait pas de te donner des coups de langue sur le visage, mais pas la bouche parce qu’il savait que ce n’était pas autorisé. Tu n’aimais pas ça et tu lui avais bien fait comprendre, il apprenait vite comme petit chat. Tu souriais doucement, tendrement. Tu le serrais dans tes bras, tu ne parvenais pas à le lâcher. Tellement soulagée de le voir là, en vie et toujours aussi plein d’énergie.

Tu ne cessais de le regarder, de le flatter, de l’ensevelir de bisous, de sourire, de l’écouter. Tu étais si bien maintenant que tu l’avais retrouvé. Maintenant qu’il était dans tes bras et non pas dieu sait où, parce que tu le voyais maintenant et que tu voyais son gris, son blanc. Il n’avait même pas besoin de bain et il paraissait si heureux. Tu savais qu’il l’était, c’était ton petit amour et il était toujours heureux de te voir, surtout après s’être perdu. Tu soupiras. Tu respiras doucement et tu t’accroupis, le laissant descendre. Il restait près de toi, ne s’éloignant pas. Il était éduqué ainsi, à ne pas s’éloigner si il n’était pas dans le Tribunal et il était rare qu’il se laisse prendre à des jeux de chaton… mais pour arriver ici, il avait dû oublier tout ça. Tu lui ordonnas d’un signe de la main de s’asseoir et il le fit. Et tu regardas sur la surface. Alors qu’il s’en allait bouger, tu lui intimas de ne pas bouger et tu poursuivis ton inspection. Et tu le fis tourner sur le dos et par la suite tu te relevas. Tu hochas la tête quand il te regarda de ses deux yeux bleutés-grisâtres et il s’en alla plus loin dans la maison.

Tu étais soulagée, mais alors sans aucun mot pour le définir de l’avoir retrouvé et tu te tournas ensuite vers le jeune homme que tu détaillas légèrement, sans trop perdre de temps à cela. Ton cœur se calmait doucement. Tu étais plus calme, plus apaisée. Cet éclat hystérique dans tes yeux disparues finalement et tu pouvais de nouveau réfléchir. Et enfin, seulement enfin, tu commenças à avoir froid avec tes vêtements tout mouillés et tes cheveux dégoulinant. Tu croisas les bras pour garder ta chaleur et fixa l’étranger. Il t’avait posé une question et tu t’en souvenais, mais tu avais dû t’assurer que Chat allait bien. Parce que sinon ton hystérie se serait empirée. Mais maintenant que tu savais que Chat était en pleine forme, tu pouvais prêter attention aux autres. Tu ne souriais plus, néanmoins.

« Oui ! Il se nomme Chat. J’ai eu tellement peur en ne le trouvant pas dans le Tribunal.. »

Je crois qu'elle ne réagit pas vraiment quand je parle. Toute son attention est portée sur le petit félin, comme si elle voulait s'assurer qu'il allait bien. Cet animal ne manquait clairement pas d'affection, elle devait en prendre grand soin. Il avait dû se sauver, et je crois comprendre sa panique. Si je perdais soudainement Tango, je crois que je serais si anxieux que je passerais pour un fou. Même si au fond, je sais qu'il connait le chemin du retour. Mais je comprend parfaitement son angoisse, aussi je ne fais aucun commentaire en la voyant s'agiter ainsi. Et enfin elle repose le jeune matou au sol, qui reste sagement aux pieds de sa maîtresse. Je souris à la propriétaire quand elle daigne enfin me parler. Mais je ne lui en tiens pas rigueur.

▬ Oui ! Il se nomme Chat. J’ai eu tellement peur en ne le trouvant pas dans le Tribunal..

Alors, ma théorie du nom conceptuel est avérée. Je me retiendrais de lui faire remarquer, mais je vais avoir du mal à appeler un chat "Chat". Enfin, je ne le reverrais probablement jamais, alors qu'importe. Cependant, je fronce doucement les sourcils en entendant le mot Tribunal. Que faisait-elle là-bas ? J'observe un instant ses vêtements déchirés et dégoulinants. Malgré leur état, je remarque qu'ils sont colorés de noir et de blanc. Alors soit est-elle une ancienne sincère, soit en est-elle encore une. Je lui poserais la question plus tard. En attendant, je vois qu'elle grelotte dans ses habits, alors je lui fait signe que je reviens. Je file dans ma chambre et attrape un gros pull, ainsi qu'un jogging. Il n'y a rien d'esthétique dedans, et j'utilise ces vêtements uniquement lorsque je traîne seul chez moi ou chez Nathan, mais cela fera l'affaire. Ils sont chauds et doux, quiconque s'y sentirais à l'aise. Même si pour une femme, cela risque d'être plutôt grand. Je reviens avec, et tend à la jeune femme les affaires, en souriant gentiment.

▬  Tenez, allez vous mettre ceci, ou vous allez attraper froid. La salle de bain est au fond du couloir.

Je lui fait un signe de la main pour lui indiquer le dit couloir, avec un sourire encourageant. Elle ne peut pas rester dans cet état, et tant qu'il pleut toujours à l'extérieur, je ne la laisserait pas sortir. Ni pour elle, ni pour le chat. Ce n'est pas un temps à dormir dehors, même pour Tango. Puis, voulant la laisser aller se changer, je me dirige vers la cuisine. Sur le pas de la porte, je m'arrête brusquement, et me retourne, un plus grand sourire sur le visage.

▬  Au fait, je suis Jules.