A la croisée des chemins. || David Lecter

Jour 1

Souvent, on me demande quel est le but du cours. Comme si tout devait avoir une utilité. Qu'ils n'étaient simplement pas capables d'ouvrir leurs esprits à la connaissance. Mais le monde est ainsi, tout a un intérêt. La société actuelle est fondée sur l'utilitarisme, quelques soient les contestataires. Alors quand, devant un amphithéâtre de plus de 800 personnes, un étudiant me demande pourquoi leur fait-on philosopher à propos de la science, au lieu d'apprendre du concret, je vois une fois de plus à quel point l'esprit humain moyen peut être fermé. Ils disent tous que la science et la philosophie ne sont pas à mettre dans le même panier. Qu'ils sont là pour apprendre des mathématiques, de la physique. Pas pour réfléchir au pourquoi du comment. Mais c'est une réaction typique des nouveaux élèves. Il arrivent en début d'année, certains d'avoir un potentiel formidable. Avoir été acceptés dans une telle université fait d'eux des êtres supérieurs. Alors tout leur est dû. Ils pensent tout savoir avant même d'apprendre. Et ils sont persuadés que la philosophie n'est qu'une perte de temps. Mais comme à chaque fin d'année, ces mêmes élèves viendront me trouver pour me dire qu'en fait, tout est devenu plus clair et plus logique grâce à mon cours. C'est pour cette même raison que je ne répond pas. Parce qu'une fois qu'ils auront compris, ils oublieront. Ils éviteront de se souvenir de leur air si convaincu et hautain. Parce que l'homme est ainsi, fait de faux-semblants.

▬ Vous traiterez donc le sujet de l'infaillibilité scientifique. Et je désire au moins deux feuilles doubles sur le sujet, si ce n'est plus.

Des bruits de précipitations se font entendre à travers la grande salle. Chaque étudiant se lève en vitesse de son banc pour rejoindre la sortie. Soit pour rejoindre un autre cours, soit pour atteindre la machine à café avant qu'il n'y ai trop de monde. Et rapidement, l'amphi devient vide, il ne reste plus que moi. Je range mes notes dans ma besace en cuir, et efface mes explications écrites à la craie sur le grand tableau. Je tire la manche de ma veste pour pouvoir lire ma montre. 10h34. J'ai assez de temps avant mon prochain cours, aussi je peux m'éclipser de l'école. Je m'introduis dans la grande Bibliothèque des Érudits. Afin de mener à bien mes recherches, j'ai besoin de nombreux ouvrages relatant les résultats trouvés par un bon nombre de chercheurs. Je me glisse dans les rangées de livres, sachant exactement à quel rayon je dois me rendre. Pour y être venu un nombre incalculable de fois, je connais cet endroit presque comme ma poche. C'est ici que je fuyais la barbarie du monde étant enfant. Il n'y a rien de plus reposant et instructif qu'une bibliothèque. Je lève les yeux sur une étagère, et y prend un exemplaire.

Quelques livres sous le bras, je quitte le quartier des Érudits. L'atmosphère pesante de ces lieux loin derrière, je décide de m'arrêter pour travailler. Debout au milieu de la rue et entre les passants, j'observe l'allée et ses bâtiments. Les personnes se déplacent sans regarder les autres, ne perdant pas le temps de croiser leurs regards. Ils avancent sans se soucier de ceux qu'ils pourraient faire entrer dans leur vie. On ne prend jamais ce temps là. Au cours d'une journée, l'on a des milliers d'occasion de faire des rencontres. Toutes ces personnes que l'on croise un jour dans notre vie repart aussitôt, parce que l'on a pas tendu la main, l'on a pas prit la peine de saisir notre chance. Nous sommes tous ignorés, considérés comme de simples passants. Personne ne fait attention à cette femme qui pleure, à cet enfant trop rêveur ou à cet homme debout au milieu de l'allée. L'être humain est invisible pour lui même.

Je m'attable à la terrasse d'un café, et ouvre l'un des manuels sur la table face à moi. Mes recherches actuelles tournent autour de la psychologie comportementale. Et une rue passante est ce qu'il y a de mieux pour analyser le comportement des gens. Je sors un carnet de notes ainsi qu'un crayon, et ajuste mes lunettes. Je commence à observer les personnes, m'arrêtant sur les visages les plus expressifs, ou ceux dont les gestes sont les plus parlants. Je m'arrête un instant sur une jeune femme, assise sur un banc, le regard fuyant, probablement prête fondre en larme. J'analyse ses moindres mimiques et mouvements. Elle se griffe vigoureusement la jambe, probablement pour oublier sa douleur psychologique et la remplacer par une douleur physique, bien plus supportable. Sa façon d'éviter de croiser les yeux de quelqu'un est d'une raison évidente, si elle voit qu'une personne la juge, elle ne pourra plus se retenir de pleurer. C'est ce que nous faisons tous quand on veut éviter cette douleur. Se renfermer sur soit-même pour ne pas imploser. J'écris brièvement ce que je vois, puis relève de nouveau la tête. Un serveur se tient face à moi, et me demande ce qu'il peut me servir. J'attrape le dépliants sur la table et lui montre la ligne proposant un Thé vert, sans toutefois prendre la peine de le regarder. Il s'en retourne à l'intérieur du café, et je reprend mes observations. La jeune femme se lève et s'en va, s'essuyant les yeux en passant. Je la suis du regard, elle marche lentement, comme si elle n'avait plus hâte à rien. Et quand elle tourne au coin de la rue, je me met à chercher ailleurs. Beaucoup vont trop vite pour que je prenne le temps de les observer. Mais je tombe enfin sur un homme debout, de profil. Une clope au bec, je me demande ce qu'il regarde. Je n'ai jamais compris ce besoin qu'on les gens de fumer. Enfin je veux dire, de commencer. Car une fois l'addiction crée, il est bien sûr difficile de s'en détacher. Mais à l'origine, quel événement a bien pu pousser cet homme à commencer ? Tout le monde connait l'effet néfaste des cigarettes, et pourtant le monde continue encore de s'intoxiquer. Je fixe cet homme, probablement la quarantaine. Je pose mon crayon, et m'adosse sur la chaise, tout en le regardant. J'attends de le voir bouger, de me donner un indice. Ou peut être est-il juste sans but. Qu'il fume pour oublier, passer le temps. Que la vie lui ai tellement prit que même la société n'ai plus d'emprise sur lui. Il erre seulement.

Il peut y avoir plusieurs raisons pour qu'une personne tombe dans l'addiction du tabagisme. Plus de la moitié de la population est sous l'emprise de cette drogue, et un grand nombre commence dès l'adolescence. Souvent, ils sont emportés par le groupe. Pour ne pas paraître plus ringard que les autres. Que tenir une cigarette donne cet air plus cool, plus populaire. Ce serait donc un échappatoire à la solitude. Pour d'autres, c'est par désespoir. Pour tenter de ne pas tomber encore plus bas. Ils pensent que c'est une manière de combattre leurs problèmes, d'oublier. Qu'ils ont déjà touchés le fond et qu'en fumant, il se sentent mieux l'espace d'un instant. Mais ce n'est qu'illusion. Pour toutes les multiples raisons que ces personnes pourraient donner, la cigarette n'a rien de bon. Le poison s'infiltre lentement, euphorisant. Mais une fois que l'on s'en rend compte, il est trop tard. Nous sommes déjà addictes. Alors je me demande. Cet homme au regard las et à l'attitude fatiguée par le temps, quelle raison la vie a-t-elle put lui donner ? Mes yeux se perdent dans une profonde réflexion, et il détourne le regard. Je peux le voir enfin dans sa totalité. Il reste là, parce qu'il n'a rien à faire. Il n'est pas pressé par le temps ou ses obligations. Ses vêtements n'ont pas la couleur attribuée et obligatoire d'une faction. Il semble juste être d'ailleurs, du dehors. Tout indique qu'il n'appartient probablement à aucune faction. Il ne fait pas parti du système. Un errant, un hors-la-loi. Ce sont les plus fascinants. Ceux qui ont une histoire à raconter. Rien que dans leurs gestes, leurs regards. Et son regard veut tout dire. Il croise le mien, et je sais. Il se nomme David Lecter.

J'ai connu cet homme autrefois, à la période probablement la plus critique de ma vie. J'ai remonté la pente depuis, et je suppose qu'il fait parti des personnes m'ayant aidées. En tant que psychiatre, il n'était pas si mauvais. Même si du haut de mes 10 ans, je disais bien le contraire. Je ne voulais simplement pas changer, alors quand on vous colle chez un spécialiste quand vous ne pensez pas avoir de problème, c'est une toute autre histoire. Seulement je dois bien constater que les séances m'ont servies malgré le temps que cela ai put prendre. Je n'aurais jamais pu devenir professeur sans son aide. Je n'aurais jamais pu rencontrer Emmett s'il ne m'avait pas suivi. Ma vie aurait été différente. Je suppose que dans ce genre de situation, l'usage est de dire merci. Mais ce n'est pas quelque chose dont j'ai l'habitude. Il y a bien d'autres façon de le faire comprendre que par de simples mots.

Je le regarde avancer vers moi. Je sais qu'il m'a reconnu, car même en 10 ans, je n'ai pas changé. C'est à mes 18 ans que nous nous sommes quittés. La vie a repris son cours, et nous ne nous sommes jamais revu. Pourtant il y a trois ans de cela, son visage m'est réapparu. Une photo dans les journaux, en première page. Une accusation. Et le revoici aujourd'hui, probablement sans nouvel espoir. Peut être simplement celui de renouer avec son ancien patient, le garçon impossible. Quelle drôle d'idée.

▬ Je peux ? David Lecter.

Je ne fais aucun geste quand il me demande l'autorisation de s'asseoir. Les mains croisées posées sur mon menton, je l'observe en silence. Il doit penser que je ne l'ai pas reconnu, mais je n'oublis jamais un visage. Ils sont répertoriés dans ma tête. Alors impossible de ne pas mettre un nom sur le sien. Surtout après l’avoir côtoyé tant de temps. Je revois encore cet homme assis face à moi, m'obligeant à lui parler de mes soucis. Je ne sais pas si un jour il a comprit que je n'avais pas de vrai problème. Qu'il avait comprit ma différence, que je ne vivais simplement pas dans le même monde que les autres. Que leurs réactions n'étaient pas les miennes.

Je relève les yeux vers les siens, et j'attend qu'il prenne place. Je me redresse et lui montre le petit dépliant, lui indiquant de choisir une boisson, et me repositionne. Je me pose encore une question. Dont je n'ai toujours pas la réponse. Et je sais qu'il ne me la donnera pas si je n'aborde pas le sujet. Il me l'avait bien fait comprendre. Une question, une réponse. Il suffit de demander, et tout est à portée de main.

▬ Vous fumez.

Je croise les bras. C'est une sensation étrange que de retrouver une personne perdue depuis longtemps. Une personne avec qui l'on a partagé un bout de sa vie, et que du jour au lendemain, en une poignée de main, elle se détourne de notre chemin. Les confidences et les secrets sont emportés au loin. Et après dix ans d'absence, nos routes se croisent de nouveau. Le hasard pour certains, le destin pour d'autres. Mais qu'importe les opinions, se retrouver face à son passé n'est pas une chose aisée. Quand cette personne vous rappelle les pires moments de votre vie. Que son visage est associé à de longues séances pleines de doutes. Parce que c'est ce qu'à fait Monsieur Lecter avec moi, il m'a fait douter. J'avais beau lui répété que je n'étais pas malade, j'ai finis par ne plus en être sûr. Je ne sais pas pourquoi je ne vois pas le monde de la même manière, mais il m'a fait comprendre que les autres n'étaient pas prêts à accepter cette différence. L'humanité n'en est pas encore à accepter tout ceci, même à notre époque. A nous de faire des efforts pour nous intégrer. Je n'en avais pas envie au départ, mais j'ai été bien obligé de constater que c'était une nécessité. La vie est bien plus compliquée quand on est exclu du monde.

Il me sourit, je ne sais pas pourquoi. Je n'ai jamais saisit pourquoi quelqu'un souriait. Parce qu'il est heureux ? On ne l'est jamais réellement, dans toute cette misère. Avec tout ce qui lui est arrivé, sa vie actuelle, il parvient encore à sourire. Je suppose que l'on appelle ça l'espoir. Un jour peut être, je toucherais ce sentiment du doigt.

▬ C'est vrai. Cette histoire n'est pas intéressante. Comment vas-tu ?

C'était à mon tour de répondre. Un tour chacun. Mais sa réponse à lui ne me satisfaisait pas. Il n'avait pas à juger de mon intérêt pour son histoire. Si je lui ai fait la remarque, c'est que je désirais savoir. Je veux connaître sa raison à lui. Mais peut être est-ce une période de sa vie dont il ne veut pas parler. Qu'elle est pleine de souvenirs douloureux. Mais il m'avait obligé à raconter certaines choses que j'aurais préféré garder pour moi. Je ne lui en veux pas, je pense juste que c'est une peine qu'il peut se donner. Parce que cette information m'échappe, et c'est dérangeant. Je n'aime pas ça, ne pas savoir. C'est important. Je dois comprendre.

▬ Bien. Pourquoi ce n'est pas intéressant ?

Je le fixe du regard, cherchant à analyser ses émotions. Ses yeux devraient me dire ce qu'il ressent, c'est toujours le cas chez les autres. Ils ont beau vouloir se montrer détachés, les yeux trahissent leurs pensées. Ils sont le miroir de l'âme, c'est bien connu. Je reste impassible, déterminé à obtenir une réponse. J'en ai besoin pour mes recherches.

Déjà enfant, je savais que ce psychiatre n'était pas aussi facilement atteignable que les autres. Il ne laissait pas quelqu'un lire en lui. Les premier mois, ce visage fermé m'avait rendu dingue. Mais j'avais rapidement compris qu'il était comme moi. Il ne voulait pas qu'on l'atteigne. Qu'on utilise ses faiblesses contre lui. J'avais mes raisons, et il avait probablement les siennes. Peut être ne voulait-il pas que ses patients devinent ses pensées. On m'a toujours dit que les fous étaient, souvent, incroyablement intelligents. Il faut donc se former une carapace, lorsqu'on travaille avec de tels cas. Je suppose que c'est pour cette même raison qu'aujourd'hui encore, David Lecter reste pour moi un grand mystère.

▬ Essaye tu de m'analyser Jonathan ? Je cherchais un refuge, un endroit pour m'enfuir de ce monde, mais je fume beaucoup moins en ce moment, tu peux me croire.

Je détourne alors le regard. Je me penche un instant pour prendre ma tasse de thé entre mes deux mains, et me repositionne au fond de ma chaise. mes yeux se fixent sur le liquide pâle, dont une légère fumée s'échappe doucement. Mes mains entourant le récipient se réchauffent à son contact. Je souffle doucement sur le breuvage pour le refroidir, et laisse mon esprit vagabonder en pensant aux paroles de ce cher psychiatre. Ancien psychiatre.

Monsieur Lecter me connait on ne peut mieux, et connait parfaitement mes méthodes d'analyses. Elles n'ont pas vraiment changées en dix ans non plus. Au début j'étais frustré qu'il devine mes intentions. Je suppose que c'est devenu normal aujourd'hui. Nous nous connaissons si peu, et pourtant nous savons beaucoup de l'autre. Ironique comme situation. Je porte la tasse à mes lèvres, et regarde de nouveau l'homme assis devant moi. Il avait besoin d'un refuge, une nécessité de fuir ce monde. je peux le comprendre, bien que je ne conçois pas le moyen utilisé. Est-ce depuis son accusation, ou bien avant ? Était-il déjà dans le besoin du tabac auparavant ? Cette question menace de s'échapper de ma bouche, mais je me contrôle. Je me lèche les lèvres pour me débarrasser de ce goût de thé, et penche la tête sur le côté avec un air interrogatif. Je me pose des questions sur sa femme défunte. Je me fiche bien de l'avis de la presse, seule la vérité compte. Et je ne crois que ce que je vois.

▬ Le meurtre de votre femme a-t-il été l'élément déclencheur ?

Parfois je me demande qui était le psychiatre. La différence entre nous, c'est que je ne compte soigner personne. Je fais évoluer la science et mes propres connaissances. Monsieur Lecter posait des questions avec un but, celui d'apaiser les esprits. Je ne fais que renforcer le mien. Sa raison est louable, mais je ne compte pas devenir comme lui. Nos chemins sont opposés, et pourtant nous finissons toujours par nous retrouver.

BLABLABLA

▬ En effet. Mais j'aimerais parler d'autre chose si cela ne te dérange pas

BLaBLA

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BLABLLA