One way or an other || Killian Hooper

Jour 4

Une tasse à la main, l'autre enfoncée dans la poche de mon jogging, j'étais positionné devant ma fenêtre entrouverte. Torse nu, je profite de la légère brise entrant dans la pièce, bienvenue par cette nuit trop chaude. Je porte le breuvage à ma bouche, et me délecte de ce café vivifiant. Il est rare que je me serve de la caféine pour rester éveiller, je me suffit d'ordinaire d'une simple pomme, souvent plus efficace. Mais cette fois, je sens que j'ai besoin de sentir l'énergie grimper en moi plus vite. Mon regard azur se pose sur l'horloge. 01:26. Il est terriblement tard, mais je ne peux pas me permettre d'aller me coucher maintenant. La fête d'initiation se déroule demain au soir, et je ne suis toujours pas prêt. Finalement, au vu du désastre dont j'ai fait preuve au numéro de jonglage, j'ai opté pour autre chose. Plus accessible, et qui me correspond d'autant plus.

Je pose la tasse de café sur la table basse, et m'assieds sur le canapé. Tango, mon jeune Border Collie, relève la tête quand il sent les coussins s'affaisser sous mon poids. Quand il me voit, il remue joyeusement la queue, mais ne me fait pas la fête pour autant. Il sait que je suis fatigué et occupé, alors il pose simplement la tête sur ses pattes et me regarde faire. Je prend la guitare posée près de l'accoudoir, et la positionne correctement sur mon genou. Je gratte les cordes pour vérifier l'accordement, et installe les partitions à côté de ma tasse, face à moi. Elle produit un merveilleux son, mélodieux à souhait. Je suis encore fier de la façon dont je me la suis procurée. Elle a symbolisé pleinement mon appartenance aux Fraternels, dès le jour où je l'ai obtenue. Je me souviens encore de la façon dont Nathan me l'a offerte, si bien que m'en rappeler me fait sourire. Mais je me concentre sur les notes, et commence à jouer. Si je veux me produire demain soir, je dois faire un sans faute. Tant pis si je m'entraîne toute la nuit et que je fasse une petite sieste demain dans les pâturages.

Je joue une dizaine de minutes, avant de soupirer. Je n'arrive vraiment à rien, j'oublie de nombreuses notes et rate des accords. L'heure tardive ne m'aide pas vraiment. Passant une main dans mes cheveux, je réfléchis sur ma façon de procéder. J'avais déjà fait cinq ou six pauses, mais elles n'amenaient à rien. Je n'étais simplement pas productif. Soupirant, je repose la guitare sèche à sa place. Je me lève et me dirige vers mon bureau, éclairé d'une petite lampe. Je m'assois sur la chaise roulante, et allume l'ordinateur. En attendant qu'il se mette en marche, je regarde distraitement les documents posés un peu partout à côté. Sous une tonne de papier, je remarque mon Carnet de Santé. Inconsciemment, je me met à sourire. Une idée me vient, probablement la plus stupide que j'ai eu en cette soirée. J'ouvre le carnet et le feuillette rapidement. J'y trouve ce que je souhaite et prend donc la souris raccordée à l'ordinateur en main. En plusieurs clics, j'accède à la messagerie. Je fais Nouveau, et je commence à taper sur mon clavier.

Evolution de la brûlure.Destinataire : DocHooper@hanco.fr De : Jules Stylinson

Monsieur Hooper,
Je sais que l'heure est tardive, mais j'espérais pouvoir trouver votre aide. En effet, j'ai bien traité ma brûlure, mais j'ai toujours une sensation désagréable. Je me suis dit que cela diminuerait avec le temps, mais j'ai du mal à m'endormir à cause de cette douleur lancinante. Et, bien que j'espère ne pas vous déranger, je voulais savoir quelle crème pouvais-je appliquer pour calmer ceci. Ou même les bienfaits d'une plante, j'en trouverais plus facilement dans les champs entourant ma maison. Merci pour votre temps et votre réponse.

Cordialement,

Jules Stylinson

© Batty pour Epicode

Et j'envois. Cela fait seulement deux jours que j'ai pris rendez vous chez le docteur Hooper, mais l'envie de le revoir ne m'avais pas quittée. Jusqu'à présent, je savais qu'il irait à la fête de l'initiation, et même qu'il avait prévu d'y participer. C'était alors certain que je l’apercevrais. Mais aussi incroyable que cela puisse paraître, je ne pouvais pas attendre. Alors si je ne pouvais pas au moins le regarder, lui parler de cette façon pouvait me faire patienter. Je ressemble à un ado pré-pubère, c'est pitoyable. Tapotant des doigts sur le bureau, j'attend une réponse. Il est tard, il ne me répondra probablement pas avant le lever du soleil.

Je tapote une nouvelle fois frénétiquement mes doigts sur le bureau. J'espère sincèrement qu'il n'est pas couché et non loin de son ordinateur. Je n'avais pas réellement mal au bras, c'était surtout une excuse pour pouvoir lui parler. Seulement, après qu'il ai répondu à ma demande, il n'y aurait plus rien à dire. Il n'allait probablement pas relancer la conversation. Après tout je le contactais pour un problème médical, il ferait son job et l'échange se stopperait net. Je me gratte la tête, à la recherche d'une idée. Maintenant que j'avais osé lui envoyer un mail, je ne devais pas laisser filer. Pendant deux jours, j'avais résisté. Je m'étais dit que de le contacter le jour même me ferait probablement pour un fou furieux. Mais deux jours, c'était raisonnable non ?

En attendant une réponse - j'espérais réellement qu'il n'était pas encore couché - je fis quelques recherches sur le net. Le gouvernement faisait beaucoup de restrictions sur la toile, mais nous avions encore la chance d'avoir un site officiel pour les fêtes Fraternelles. Oui, nous sommes des gros fêtards. Mais pas du genre à boire jusqu'à faire un coma éthylique. Celles pleine de musique, de danses, de chants et de chaleur. Elles étaient faites pour resserrer les liens. Pas pour picoler comme un trou. Ce genre de beuverie était réservée aux Audacieux. Je trouve la page que je cherchais. Sans regarder les détails, je clique sur le programme. Le Docteur Hooper m'avait dit qu'il participerait à la soirée, j'étais curieux de savoir ce qu'il avait préparé. Et ce serait un sujet que je pourrais lancer s'il ne rebondit pas sur mes propos. Alors que je cherche son nom dans la liste présentée, je remarque un petit descriptif.

"Cette année, la soirée ressemblera à un bal masqué. Le but de la fête est d’accueillir les jeunes initiés, et donc de faire des rencontres. Si l'on ne sait pas qui se trouve face à nous, n'est-ce pas plus amusant d'aller à la découverte ?"

J'imagine alors mon docteur portant un masque, et cette pensée me fait sourire. Mon docteur, voilà que devenais trop possessif. Je lâche un grognement contre moi même. Je m'emportait trop vite dans cette relation à sens unique. Il était un professionnel, et j'étais son patient. Rien de plus. Et alors que je reprenait ma recherche, un bip bip attira mon attention. Il m'avait répondu. Killian Hooper était en ce moment même derrière son écran, et il pensait au moins un peu à moi en écrivant son message. Inconsciemment, je me mit à rougir. Je devais véritablement arrêter de me faire des films.

J'ouvre la fenêtre, et commence à lire. Il répondait tout d'abord à ma question, et même si je n'avais pas vraiment de douleur, c'était toujours bon à savoir. Mais ce qui m'enchanta le plus, c'est qu'il ne s'arrêtait pas là. Et sa façon, peut être un peu gênée de lancer la chose, rend ces quelques mots incroyablement adorables. Il me demandait de le tutoyer. Après tout, nous étions tous deux des Fraternels, inutile de mettre une distance entre nous. Mais au fond de moi, j'espérais qu'il s'agissait réellement d'une méthode de rapprochement. Que je ne sois pas le seul à attendre quelque chose.

Je réfléchis un moment à ce que je pourrais bien répondre. Puis je repensai à la soirée de demain. Je ne savais toujours pas ce qu'il avait préparé. Peut être était-ce l'occasion de découvrir un quelconque talent. Je m'installai confortablement, et tapai une réponse.

Re: Re: Evolution de la brûlure.Destinataire : DocHooper@hanco.fr De : Jules Stylinson

Merci pour vos conseils, ils me seront précieux.

Et bien, vous... tu as probablement raison. Puis-je dans ce cas t'appeler Killian ? Je n'osais pas vraiment, jusqu'à présent je n'avais jamais été proche d'un soigneur. Enfin proche, suffisamment pour oser le tutoyer. Et puis tu connais mon âge grâce à mon dossier médical. Je n'ai aucun moyen de savoir le tien.

Au fait, tu m'avais appris que tu participais à la fête de demain soir. Mais je ne sais toujours pas où je pourrais te voir. Qu'as-tu prévu de faire ? Si ce n'est pas indiscret. Je me demande vraiment quel talent caché tu as.

© Batty pour Epicode

Et j'envois une nouvelle fois. J'ai souvent l'impression d'être trop direct. Mais je ne savais pas m'y prendre autrement. Quand je l'imaginais, je revoyais ce regard perçant et cette chevelure. Je me pris à penser qu'y glisser mes mains devait probablement être agréable. Mais je me mis une claque mentale. N'importe quoi Jules.

Je croise les bras et fixe mon écran. A attendre ainsi comme un désespéré, je dois faire peur à voir. Qu'avais-je à être aussi impatient pour un simple mail ? Soupirant devant mon comportement, je me lève de ma chaise. Je fais les cent pas, cherchant comment m'occuper. Il allait me répondre, c'était évident. Mais je ne pouvais pas renvoyer un mail dans les minutes suivantes. Ce serait trop.... Féminin. Oui c'est ça, une jeune fille qui attend le prochain message de son mec avec tellement de détresse que ça en devenait ridicule. J'étais ridicule. Il devait me sortir du crâne, au moins quelques minutes. Que je puisse me prouver qu'il n'était rien pour moi, qu'un simple ami potentiel, mais avant tout mon médecin.

J'arrête de tourner en rond, je dois m'occuper les mains. Je m'approche de la cuisine, et trifouille dans les tiroirs. Je ne sais même pas ce que je cherche. Je referme les placards, et m'appuis contre le bar. Je passe une main dans les cheveux. Sors de ma tête, sors de ma tête. J'observe les alentours, et mes yeux tombent sur la gamelle vide de mon chien. Prestement, je prend le paquet de croquette et rempli l'écuelle. La nourriture canine tinte dans le fond. Je relève les yeux, mais le Border Collie n'a pas bougé. Normalement il réagit au quart de tour, alors je l'appelle.

▬ Tango, viens manger.

Il lève la tête et me regarde un moment. Je tapote mon genou pour le faire venir. Mais il repose la tête entre ses pattes et referme les yeux. Évidement. Nous sommes en pleine nuit, ce n'est en aucun cas l'heure de son repas. Je grommelle, je me sens encore plus bête. Il me fait perdre la tête ce type, rien que parce que j'attend son message. J'entend alors le bip espéré, et me redresse. J'hésite, courir vers mon ordinateur, ou prendre mon temps. J'aurais l'air d'un attardé à me jeter sur ma messagerie. Riant de moi même, je repose le paquet de croquettes à sa place. J'attrape un biscuit, pour m'occuper les mains et la bouche. Finalement, je n'ai pas réussit à l'oublier, ne serait-ce qu'une dizaine de minutes. Je me déprimais moi même.

Lentement, - plus pour me rassurer que je n'étais pas en train de devenir dépendent - je m'assois de nouveau près de mon bureau. Je fais craquer mes doigts et me décide à ouvrir le nouveau message. Et plus je lis, plus je souris. Et il m'a mit un smiley, qui fait un clin d’œil. Je vais défaillir. Une vraie pucelle en chaleur. Il me parle de son âge. Je me doutais qu'il était plus âgé que moi, et qu'il n'avait largement pas la trentaine. Je ne suis pas plus avancé, mais je vois qu'il me lance un petit défi. Je le relève avec un enchantement presque trop grand. Et quand je lis qu'il chantera demain, je sens mon coeur battre plus fort. Il fait de la musique. J'aimerais tellement voir ce dont il est capable. Lui qui a déjà une si belle voix quand il parle, il doit être irrésistible quand il chante. Je souris tellement que je commence à en avoir mal aux joues. Je dois me reprendre. Alors je réfléchis à ma réponse et écris de nouveaux.

Mystérieux ?Destinataire : DocHooper@hanco.fr De : Jules Stylinson

A peine plus vieux ? Allez, au grand hasard... 20 ans ? Je te préviens, je suis très mauvais aux devinettes. Si c'est pour te donner un côté mystérieux, c'est cependant réussit ! Et cet indice est trop vague. Je demande mieux que ça !

Je suis étonné d'apprendre que tu chantes ! Pas que je ne t'en pensais pas capable. Mais maintenant j'ai hâte de t'entendre, tu as réussis à m'intriguer. Cependant, tu as eu raison de me le dire, je viens de lire que le thème tournera autour du Bal Masqué. Pour te reconnaître, je sais maintenant qu'il me suffira de suivre le son de ta voix !

© Batty pour Epicode

Et quand j'envois, je me demande à quoi il pense. S'il attend lui aussi avec impatience mon prochain message. Si nous sommes sur la même longueur d'onde. Car rien qu'avec le peu d'échanges que nous avons eus, je commence à l'apprécier. Souriant, je me tourne sur ma chaise roulante, et observe ma guitare. Nous avons tous les deux un goût commun pour la musique. Je me demande alors si sa voix se poserait bien sur mes propres compositions. Je suis incapable de chanter, je le sais. Mais parfois quelques textes me viennent. Je suis intrigué de savoir s'il rendrait ces notes encore plus belles. Je penche la tête en arrière sur le dossier de la chaise, et ferme les yeux. Quelle belle soirée.

Je fouille dans les tiroirs de mon bureau. C'est un véritable bordel sans nom, je ne sais pas comment je fais pour m'y retrouver. Je suppose que c'est un désordre organisé. Celui où vous savez où se trouve vos affaires, et que s'ils étaient bien rangés à leur place vous passeriez un temps fou à les retrouver. C'est pourquoi parmi toute cette paperasse, ces dossiers éparpillés et la tonne de matériel entassée, je parviens à trouver ce que je cherche. Mes partitions. Je les feuillette rapidement, et tombe sur une feuille vierge. Je la retire du paquet, et m'installe confortablement. Un crayon à la main, je commence à griffonner quelques accords. Après avoir lu son précédent message, j'avais eu un élan d'inspiration. Comme si penser à un certain bouclé exacerbait mon imagination. Et plus la musique me parle, plus je visualise deux grands yeux d'un vert pur. Un regard pénétrant, me regardant intensément. Il me déstabilise, à un point que je pensais inconcevable. Rien qu'il y a deux jours dans son cabinet, j'étais resté coi devant lui. Plus je me remémorais ces instants, plus je devais avouer qu'il était beau. Pas seulement mignon, ni charmant. Non, une véritable beauté. Je revois chaque petit détail m'ayant marqué. Les plis sous ses yeux quand il sourit, autant que les adorables fossettes sur ses joues. Ses boucles indomptables et ses grains de beautés. Je ne sais pas comment j'ai fais pour remarqué tant de petites choses en si peu de temps. Je ne pouvais me le cacher, il m'attirait. Mais je ne pouvais pas le lui dire. Alors je me contentait d'écrire. Et inconsciemment, toute cette nouvelle mélodie lui ressemblait. Les premières paroles me vinrent, et je sus qu'elles lui étaient même destinées : I won't let these little things slip out of my mouth. Ces mêmes petites choses qui le rendait si irrésistible.

Je lève les yeux vers mon ordinateur. J'ai reçu un nouveau message, depuis au moins 10 bonnes minutes. J'étais tellement accaparé par mon nouveau morceau que j'en avais oublié l'essentiel, Killian lui même. Me pressant, je lâche le crayon et ouvre son mail. Il y a un dossier joint. Je fronce les sourcils, intrigué. Il me parle de nouveau de son âge. Bien évidemment j'ai eu faux. Et cet adorable imbécile - oui, il s'agit d'une insulte affectueuse - se fiche ouvertement de moi en me signalant qu'il a moins de trente ans. Mais je n'avais toujours aucune réponse. Grommelant, je rage intérieurement qu'il joue ainsi avec moi. Pas que ça me déplaisait, bien au contraire. Mais je n'avais pas le dessus. J'aimais contrôler, et il devait bien rire avec son sourire à croquer derrière son écran. Malgré moi, je fis une petite moue ressemblant à un sourire. Il m’énerve, et je m'accroche encore plus. 

Je passe à la seconde partie du message, où il m'explique avoir envoyé un extrait d'une de ses chansons. Mon cœur rate un battement en l'apprenant. Il me faisait l'honneur de pouvoir l'écouter. Je ne sais pas s'il avait l'habitude d'envoyer ainsi des démonstrations, mais je me sentais privilégié. J'en avais l'espoir surtout. Je regarde le lien, n'osant pas cliquer. J'ai soudainement peur d'aimer. C'est stupide, bien sur que je vais aimer. Mais peur de trop aimer, surtout. J'hésite même à arrêter là, et aller me coucher. Cet échange devient trop personnel, trop rapidement. Je ne sais pas ce qu'il me prend de paniquer ainsi. Jusqu'à présent, j'étais encore plus heureux qu'une souris chez un fromager, et voilà que ma main tremblait au dessus de la souris. Comme si, si jamais j'ouvrais ce fichier, je ne pouvais plus faire machine arrière. Je recule, passant mes mains dans les cheveux. Je déglutis. Fatigué, voilà ce que je suis. Je commence à m'imaginer des choses, alors qu'il ne s'agit que d'une chanson. Un mec, mon docteur, qui me fait part de son talent caché. Rien de plus. Je me ressaisis. Je soupire bruyamment, pour me donner du courage sans doute. Je m'engage dans quelque chose en cliquant. Que je ne contrôle pas, mais qui sans aucun doute est incroyablement puissant. Des milliers de papillons grouillent dans mon ventre, et prenant mon courage à deux mains, j'ouvre enfin le document audio.

Dès les premières notes, je suis soufflé. Mon coeur tambourine contre ma poitrine. Il a une justesse inégalable, et un timbre à vous couper le souffle. Littéralement. Avec seulement quelques notes, il m'a laissé complètement abruti. Je suis bloqué devant mon ordinateur, sa voix résonnant dans ma tête. Et les paroles sont belles. Il ne m'a fait écouter qu'un extrait, pourtant je prend conscience de son talent. Il en a, et à revendre. Pendant un moment qui me semble interminable, je reste idiot devant mon écran. Je ne sais pas quoi faire. Quand j'avais décidé, il y a déjà une heure, de lui envoyer un message, je n'avais pas espéré autant. C'est comme s'il... avait partagé avec moi un petit bout de sa vie. Nous n'étions plus des inconnus. Nous avions dépassés le stade d'Anonymes.

Je me reprend, et met la chanson sur pause. Je ne pourrais jamais correctement me concentrer avec sa voix chantante à mes oreilles. Alors j'écris de nouveau, pensant surtout à sa question quant à mon propre numéro.

Re: On peut dire ça..Destinataire : DocHooper@hanco.fr De : Jules Stylinson

Je vais finir par croire que tu as honte de ton âge ! 23 ans ?

J'ai écouté et... Ouah. Sans rire, c'est vraiment bon ! Je ne vais pas te mentir, mais tu m'a véritablement soufflé. Tu as un talent Killian, j'ai hâte d'entendre une version complète demain. Je serais au premier rang. Après ce bref aperçu, je ne peux pas rater ça !

Quant au masque, je dois en avoir un qui traîne quelque part chez moi. Ne t'en fais pas, même camouflé, je saurais te reconnaître. ;)

Tu te doutes que je ne vais pas me risquer à recommencer le jonglage. Une brûlure me suffit amplement, j'ai bien retenu la leçon. A la place, je vais me contenter de faire ce dont je suis capable, ne pas prendre de risques. Jouer quelques unes de mes créations à la guitare. Cela n'est pas aussi impressionnant que de lancer des bâtons enflammés dans les airs mais, au moins, je maîtrise.  

© Batty pour Epicode

Et enfin, je lui transmet. Cette fois, j'ai mit beaucoup plus de temps à lui répondre. J'espère qu'il ne s'est pas endormit en m'attendant, je n'accepterais pas de devoir aller me coucher maintenant. Pour ne pas devenir fou en trépignant d'impatience, je me lève en direction de ma chambre. J'ouvre ma penderie, et fouille au fond du placard. J'en ressors une poche en plastique. J'y plonge ma main, et en sors le fameux masque. Voilà bien longtemps qu'il traînait là, j'avais enfin l'occasion de l'utiliser ici, chez les Fraternels. Le tenant à deux mains, je le regarde, et de précieux souvenirs refont surface.

Je m'assois sur mon lit, le matelas s'affaisse sous mon poids. Le masque toujours en main, je le regarde avec insistance. Je l'avais acheté il y a de cela quatre ans, pour une occasion bien spéciale. Pour avoir l'argent nécessaire, j'avais prétexté auprès de mon père qu'un ami organisait une grande fête costumée. Ce n'était pas entièrement faux, dans le fond. Je l'avais alors trouvé chez un très bon artisan, où chaque modèle est unique. Le mien est séparé en deux couleurs, celles du Yin et du Yang. Le noir désigne le bien, et le blanc le mal. Les bordures et le contour des yeux sont quand à eux d'un beau relief doré. Quand j'y repense, heureusement que mon père était plutôt fortuné, sans quoi je n'aurais certainement pas put me l'offrir. Esquissant un sourire nostalgique, je repense à trois jours plus tôt. Dans ce café, où j'ai retrouvé quelqu'un ayant été très cher à mon coeur. Et alors, des souvenirs plus anciens encore remontent.

FLASH BACK
Quatre ans plus tôt, quartier huppé des Érudits.

Je respire un grand coup. Je ne suis pas certain que ce soit une bonne idée, dans le fond. Mais Ethan m'a affirmé que c'était sans risques. Il me dit que je n'ai que quinze ans, c'est normal que cela me fasse peur. Je n'aime pas quand il me rappelle ainsi mon âge. Notre écart est grand, mais je ne suis pas un trouillard. Simplement raisonnable. Trop d'après lui. Mais ce n'est pas la première fois qu'il fait ça, alors je lui fait confiance.

Nous nous avançons dans l'allée fleurie, main dans la main. Je resserre mon étreinte lorsque nous gravons les marches du perron. A l'intérieur du grand bâtiment, les lumières semble éclairer toutes les grandes pièces, et la musique s'échapper des grandes baies vitrées. Je n'ose pas entrer. En fait si, j'ai l'air d'un pétochard. Pourtant d'ordinaire, je suis plutôt téméraire. A croire que la présence d'Ethan m'adoucit, me rend plus fragile. Et tandis qu'il se retourne vers moi pour m'inciter à avancer, je me fais bousculer par un homme en costume. Il continu son chemin sans même s'excuser, probablement pour aller fumer.

▬ Tu vois, personne ne nous remarquera. C'est à cela que servent les masques. Tous anonymes.

Il me sourit et me désigne nos masques déposés sur nos visages. Nous ne pouvons voir que nos yeux et nos bouches. C'est vrai que ce sont de parfaits déguisements. Alors je souffle, rassuré. Souvent, de grands bals masqués sont organisés, réserves à la haute de la société. Mais, vraiment les très fortunés. Alors Ethan et moi n'avions rien à y faire. Pourtant, il m'avait convaincu. Je ne dirais pas de quelle façon, mais il savait se montrer très, très convainquant. Alors, je resserre une nouvelle fois sa main, inspire profondément et entre enfin dans la maison bourgeoise.

Le hall est grand, et empli de monde. Personne ne se retourne à notre entrée. Nous sommes invisibles à leurs yeux, probablement considérés comme des riches parmi tant d'autres. Je n'avais pas besoin de tant m'inquiéter, au fond. Mais j'avais toujours peur que quelqu'un me reconnaisse, et me dénonce à mon père. Hors, nous ne sommes pas remarqués. Des invités comme les autres. Nous esquivons subtilement quelques personnes, Ethan dit qu'il s'agit des organisateurs. Ce sont eux qui pourraient avoir des doutes, mais la foule nous cache facilement. Finalement, nous trouvons la grande sale de bal. La musique n'a rien de festive, elle est douce et sensuelle. Probablement un compositeur connu de toute l'assemblée présente. Nous nous avançons parmi les danseurs, et Ethan se positionne face à moi. Il présente son bras, et se penche légèrement en avant, toujours me fixant intensément. Dans ses yeux je peux y lire Puis-je vous accorder cette danse ? Et je trouve ça d'un romantisme. Il sait y faire avec moi. Malgré son mauvais caractère parfois, je tombe dans ses bras dès qu'il claque des doigts. Alors timidement, je m'avance et saisit sa main. Rapidement, il m'emporte sur la piste, et je me retrouve à danser près de lui. Son souffle caresse mon cou, et mon regard passe par dessus son épaule. Je me crispe quand je croise les yeux d'une femme. Elle se détourne rapidement, comme si de rien était. Mais je ne me sens pas à l'aise. Je fixe nerveusement nos pieds dansants.

▬ Détends toi Jules. Laisse toi porter par la musique. Ne faites qu'un.

Son murmure me rassérène. Je ferme alors les yeux instants. Je le laisse prendre le contrôle de nos pas, je me contente de suivre ses mouvements. Il me rapproche de son corps, et je sens nos vestes se coller, sa chaleur à quelques centimètres de la mienne. Sa présence me fait oublier mes craintes, et je finis par déposer mon regard dans le sien. Ses yeux azurs occultent le reste du monde. Je ne vois que lui. Le masque qu'il porte ne cache pas sa beauté, il le rend plus ténébreux qu'il ne l'est déjà. D'un noir profond, il fait mystérieux ainsi. Le contour des yeux est d'un doré magnifique, accentuant l'intensité de son regard. Il est magnifique.

▬ Merci d'être là...

Mon cœur bat la chamade, il me sourit et se rapproche. Nos lèvres se frôlent, se caressent. Il joue doucement avec mes émotions, car il sait que je ne désire qu'une chose, qu'il m'embrasse pleinement. Il porte ses mains autour de mon visage, me regarde avec une intensité et un érotisme dont il a toujours eu le secret. Mes lèvres sont entrouvertes, il m'hypnotise. Et alors que je ferme les yeux pour ne pas défaillir, il m'offre un baiser passionné.

FIN DU FLASH BACK

Un bip sonore me ramène à la réalité. Je dépose le masque chargé sur le lit, et les souvenirs d'Ethan avec. Je rejoins mon bureau prestement, et affiche le nouveau message. Mes joues s'enflamment. Je te le dirais lorsque nous nous verrons face à face. Cela sonne comme une promesse. Nous n'allons pas seulement nous croiser, il ne veut pas laisser passer une occasion de me parler. Cette idée me chamboule, et me confirme que je ne suis pas le seul à avoir de l'espoir. J'hésite presque à abandonner la devinette, pour qu'il me le dise lui même. Je veux le voir, c'est incroyable à quel point. Et quand je lis qu'il a hâte de me revoir, mon cœur se réchauffe. Ce jour là dans son cabinet, je n'était pas personne. Je n'étais pas que Jules Stylinson, un patient. Il avait ressenti cette même sensation. Que nous ne devons pas en rester là. Il y sera. A ma représentation. Et moi je souris comme un imbécile heureux.

Je me mord la lèvre inférieure et commence à écrire une réponse. Je ne sais plus quelle heure il est, ni dans quel état je vais être à mon réveil demain. Je sais seulement que je ne veux pas que cela cesse. D'une façon ou d'une autre, cette nuit est en train de changer ma vie.

Est-ce une promesse ?Destinataire : DocHooper@hanco.fr De : Jules Stylinson

Et bien, étant trop mauvais, je pense qu'il faudra me le dire de vive voix.

Je tiens alors à te voir là-bas, tu n'a plus le choix désormais. Je ne te donne aucun indice pour mon propre masque ou tenue, c'est bien plus amusant de se chercher dans la foule. Quand au tien, je peux te conseiller un très bon artisan. Il est plutôt cher en revanche, mais la qualité et l'originalité sont inégalables.

Normalement, la cérémonie du Passage se termine tard et l'on dort tous à la belle étoile. Je compte y rester, probablement avec un ami. Y seras-tu également ?

© Batty pour Epicode

Cette fois, je ne me suis pas levé entre nos deux messages. Je reçois le sien plutôt rapidement, ce qui m'enchante. Rien que le bip devenant familier me fait sourire. Je pourrais passer toute la nuit à échanger avec lui, le découvrir doucement. Plus l'on parlait, plus j'avais envie d'en apprendre plus. Cette sensation est étonnante, enivrante. Je crois que je commence à l'apprécier, plus que je ne le devrais. Mais je ne dois pas m'emballer, autant attendre de le voir demain pour confirmer mes impressions. Au moins, maintenant je ne peux pas me cacher qu'il me plait, et beaucoup.

J'ouvre alors le message, déjà excité à l'idée de lui répondre. Mais je désenchante rapidement. Son ton est étonnement froid. Bien sûr, il est difficile de vraiment dégager une émotion par de simples mots. Mais j'ai cette sensation désagréable qui monte en moi qui ne me laisse présager rien de bon. Et pour cause, il me demande le nom de l'artisan et coupe sec la conversation. Un bonne nuit, et une signature. De quoi me montrer qu'il ne répondra plus. Je tombe des nu. Je m'effondre sur ma chaises, les bras ballants. Je ne comprend pas. Lui qui me semblait si chaleureux au message précédent, j'avais presque commencé à discerner une complicité entre nous deux. Et un retournement de veste. Peut être est-il seulement fatigué, qu'il a du travail demain et qu'il ai donc décidé qu'il avait veillé bien assez tard. Pourtant, je ne parviens pas à accepter cette idée. Il n'était pas pareil. En peu de messages, j'ai bien vu qu'il ne répondait pas de cette façon, pas aussi... durement. Mon cœur se serre, je ne sait pas quoi faire. Lui faire la remarque, ou laisser passer la chose. Il risquerait de le prendre mal si je lui faisais un reproche. Nous n'étions pas assez proches pour que je me le permette. Poussant un grand soupir, la mine déconfite, je tape mon ultime message pour ce soir.

Je garde espoir.Destinataire : DocHooper@hanco.fr De : Jules Stylinson

Il se nomme Jason Spencer, sa boutique se trouve à l'angle d'une ruelle, près de l'Hancock Center, derrière un café du nom de Garry's. Tu verras, chaque pièce est unique et rien que son atelier vaut le coup d’œil.

L'on se voit demain alors, passe une bonne nuit également.

Jules

PS : Je suis content que tu restes dormir. Nous aurons plus l'occasion de discuter à cet instant.

© Batty pour Epicode

Et j'envois, une dernière fois. Je ne veux pas éteindre l'ordinateur. Peut être va-t-il revenir. Mais après plus de dix minutes d'attente, j'abandonne. Je ferais mieux d'aller dormir également. Avant de fermer ma session, j'ouvre une dernière fois la messagerie, et tape un dernier message clique. J'ai besoin de partager ça avec Nathan. Demain, il réconfortera. C'est ce qu'il fait toujours. J'éteins et quitte mon bureau lentement. Moi qui était de si bonne humeur, il a réussit en un seul message à me laisser maussade. Une journée. Une seule, et je le verrais. Peut être m'expliquera-t-il à cet instant là. Je me glisse sous les draps et éteins la lumière. Les yeux ouverts dans le noir, je ne peux m'empêcher de prier pour que deux yeux verts se posent joyeusement sur moi demain.

F.I.N